« Sur la route, faire confiance au Seigneur » entretien avec Alexis Vogt

Le 14 mars 2010, l’archevêque de Tours, Bernard-Nicolas Aubertin, ordonnait deux nouveaux diacres: Jacques Cauchy et Alexis Vogt. Ce dernier a un itinéraire d’homme du voyage peu banal. Entretien. 

Alexis, votre épouse, Marie-Thérèse, tient une grande place dans votre vie et dans votre rencontre avec le Seigneur. Comment l’avez-vous connue, et comment cette rencontre a-t-elle eu lieu?
Je l’ai connue à l’âge de 3 mois! C’était en 1944. Sa mère venait d’être libérée du camp de concentration de Montreuil-Bellay. Il n’y avait, alors, qu’un berceau pour les deux enfants…
Nous nous sommes retrouvés quinze ans plus tard et nous nous sommes mariés en 1963 – à la manière gitane – civilement. Nous avions déjà deux enfants. Nous n’étions pas pratiquants et Dieu était loin de nos préoccupations. En 1970, Marie-Thérèse est tombée gravement malade et le resta pendant de longues années. Dans sa douleur, elle se détournait de Dieu mais gardait un attachement très confiant à la Vierge Marie. Alors que je ne pratiquais pas, j’ai fait cette prière: « Dieu, si tu me rends ma femme, je ferai tout ce que tu demanderas. » Dieu a mis sur notre chemin une religieuse qui nous a invités à un groupe de prière. Et c’est la guérison. Avec la guérison, je retrouve Marie-Thérèse transformée dans la lumière de Dieu, avec son sourire et la clarté de ses idées. Jusque-là, j’avais des œillères, je ne voyais pas Dieu. Mais, de ce jour, j’ai réalisé que le Seigneur était avec nous dans notre galère.

Pouvez-vous nous raconter votre vie et vos premiers engagements dans l’Église?
La vie ne nous a pas vraiment épargnés, avec des périodes de grande pauvreté matérielle et physique. Malgré ces conditions, nous élevons six enfants. Aux cinq enfants viendra s’ajouter un petit garçon que nous adoptons. Puis deux petits Rwandais nous ont été confiés.
En Normandie, où nous vivons de nombreuses années, nous entrons comme « associés » au Pain de Vie en 1983. C’est aussi à ce moment-là que nous nous sommes mariés à l’Église. La « Pentecôte des pauvres » m’a profondément marqué: c’est là que j’ai reçu ce don d’aimer les plus petits. Avant, c’était normal de partager avec les pauvres, mais, après la conversion, c’est tout autre chose: la rencontre avec les pauvres. Quand j’ai rencontré Jésus, ça a tout changé.
C’est ainsi qu’avec Marie-Thérèse nous avons rassemblé des voyageurs sans ressources, en une communauté de vie et de travail, à Colombelles, mettant tout en commun, notamment l’activité du désossage de véhicules. Nous revendions la ferraille qui coûtait cher à cette époque. Marie-Thérèse s’occupait des courses pour que chaque famille ait le nécessaire. Il pouvait arriver que le comportement d’une personne perturbe le groupe. Quand cela arrivait, je ne remettais jamais à la rue quelqu’un que je ne pouvais garder pour des raisons graves, je l’accompagnais toujours dans un centre où il pourrait être pris en charge.
Très liés à l’aumônerie des gens du voyage, nous sommes invités à suivre les premières écoles de la foi et sommes fidèles aux huit sessions de quinze jours sur trois ans, de 1984 à 1987. C’était déjà en vue du diaconat.

En Touraine, vous allez cheminer jusqu’au diaconat. Racontez-nous ce chemin.
En Indre-et-Loire, nous avons vécu encore en caravane pendant quatre ans, dans un bois près de Neuillé-Pont-Pierre. Puis, nous sommes arrivés à Souvigné-sur-Lathan où nous vivons dans une maison six mois de l’année. Le reste de l’année, nous sommes sur les routes, fidèles aux pèlerinages des Saintes-Maries-de-la-Mer, de Lourdes, de Pontmain, de Lisieux, de l’Île Bouchard, et de bien d’autres maintenant. Tôt ou tard, le voyageur reprend la route, on ne s’arrête pas n’importe où. Si on n’est pas sûr de trouver un lieu pour voir le Seigneur, on file. Il y a toujours des imprévus, des difficultés, la route nous rappelle que nous ne sommes pas sur terre pour nous y installer. La route, c’est faire confiance au Seigneur pour affronter les dangers. Le voyageur vit profondément cette dimension spirituelle du pèlerinage.
Pendant ces pèlerinages, j’ai toujours le souci des plus pauvres. C’est ainsi qu’avec Marie-Thérèse, aux Saintes-Maries-de-la-Mer, je choisis d’être sur le terrain des « zonards », ces personnes sans caravane, logeant sous tente. Mais, à Souvigné, nous avons continué à accueillir des hommes en grande difficulté, logeant dans une caravane, sur notre terrain.
La dévotion à Marie et l’adoration du Saint-Sacrement ont une grande place dans notre vie. Du temps du père Jannick Houée, notre caravane servait de chapelle avec la présence réelle. Maintenant c’est dans notre commune que nous retrouvons la joie de ce temps de prière et d’adoration, chaque vendredi. C’est là que se fait le lien entre le service de l’Église et celui des gens du voyage.

Avec l’ordination, comment entrevoyez-vous votre ministère de diacre?
Je suis chargé aujourd’hui du service régional de l’aumônerie des gens du voyage.
Pour moi, être diacre, c’est répondre à l’appel de l’Église pour être au service du Seigneur et de mes frères. Comme diacre je serai reconnu comme serviteur à la suite de Jésus. Je serai heureux de célébrer sa Parole que je pourrai transmettre à mes frères, je serai heureux de baptiser et de bénir des mariages. Pour vivre en diacre, j’entre dans la fraternité des diacres du diocèse mais aussi dans celle de mes frères diacres au service des gens du voyage.
Quel bonheur d’avoir rencontré Dieu! Quel dommage de ne pas l’avoir rencontré avant !

J’ai donné ma vie au Seigneur. On partage tout avec le Seigneur.

Propos recueillis par Gaby et Hubert Lévêque
pour la revue DIACONAT AUJOURD’HUI n°145 avril 2010