L’évangélisation avec la communauté Aïn-Karem
n° 220 – septembre 2023
L’évangélisation avec la communauté Aïn-Karem
Père Jean-Luc Leverrier
Version longue du texte publié page 19
Le Père Jean-Luc Leverrier est le responsable pour Paris de la Communauté apostolique catholique Aïn-Karem qui s’inspire du nom du Village en Palestine où l’Esprit-Saint pousse la Vierge Marie vers sa cousine. Il nous livre ici ce qui fait vivre la communauté et comment la joie de l’évangélisation devient témoignage de joie offert à tous pour aujourd’hui.
La communauté Apostolique Aïn-Karem a été fondée il y a près de 40 ans à l’ombre de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre forte de la longue expérience de Mgr Charles en matière d’évangélisation.
On résume souvent l’intuition d’Aïn-Karem avec ce que l’on appelait à l’époque le trépied montmartrois, à savoir : la prière, l’apostolat, la théologie. De ce fait, l’évangélisation de rue n’est pas la seule activité de la communauté, ni même son seul apostolat.
Pour autant, l’apostolat de rue a toujours accompagné les activités des prêtres et laïcs de la communauté, notamment dans les missions d’évangélisation l’été, mais aussi dans des équipes qui se retrouvent chaque mois en différents lieux de Paris pour une après-midi d’apostolat.
D’autre part, cette évangélisation de rue y trouve une place particulière que je vais essayer de décrire ici.
L’évangélisation de rue souffre de deux ‘infirmités’ :
– Tout d’abord, elle fait peur. Tant et tant de fidèles estiment qu’ils ne pourront jamais en faire. Soit parce qu’ils ont un soupçon sur le caractère prosélyte de l’affaire et sa légitimité au regard des autorités civiles, soit parce qu’ils surestiment les réactions violentes qu’elle pourrait entraîner de la part de nos De là, les rapprochements avec les témoins de Jéhovah, les musulmans radicaux ou encore les questions de laïcité sur la place publique, bref toutes sortes de polémiques d’autant plus insolubles qu’elles suscitent l’affectivité plus que la raison.
– D’autre part, le succès réel en matière d’évangélisation est très relatif : même les plus anciens et les plus férus de cet apostolat ne peuvent citer des foules de convertis effectifs à la suite de l’évangélisation de rue : lorsque l’on se trouve près de la fontaine Saint Michel et que nous parlons de Jésus aux passants, ce n’est pas l’image de la pêche au filet qui vient, mais plutôt celle de la pêche à la ligne, avec également les multiples rencontres qui se sont soldées par une séparation sans avancée palpable, tel le pêcheur qui remonte sa ligne avec seulement de la vase, ou une vieille godasse à son hameçon.
Sur le premier de ces arguments, nous ne nous étendrons pas. Il justifierait à lui seul un article plus fouillé que ces quelques lignes. Simplement, qu’il me soit seulement permis de témoigner ici que, en 40 ans d’apostolat de rue, je n’ai jamais vu de réaction plus violente que quelques noms d’oiseaux proférés par des passants de mauvaise foi à l’adresse des missionnaires du moment.
Je voudrais m’arrêter un peu plus sur le second aspect : un succès très relatif.
C’est vrai. Relatif, mais pas nul. Nous avons tous en mémoire une rencontre qui a fait bouger les lignes, qui a abouti à une demande de sacrement, une réconciliation avec Dieu et son Église, une conversation qui s’est terminée à genoux devant le tabernacle avec la personne qui initialement n’avait pas du tout prévu, en faisant ses courses, d’en arriver là. La parabole du bon pasteur qui va chercher la centième brebis, suffit alors à justifier le temps passé sur la place, apparemment en vain, pour annoncer le nom de Jésus.
Par ailleurs, l’évangélisation de rue a aussi un caractère symbolique significatif dans le panel de l’apostolat de l’Église et des missions de la communauté : c’est précisément que nous nous adressons à des gens qui n’avaient pas du tout prévu d’entendre parler de Jésus. Rien ne les prédisposait, ni dans leurs intentions, ni dans leurs actions. Il y a tant de manières de faire de l’évangélisation autrement : à l’adresse des enfants et des jeunes dans un patronage catholique, ou bien en faisant une visite d’église avec des touristes, en mettant en scène une vie de saint pour les spectateurs au théâtre, des préparations au mariage ou au baptême pour des personnes qui viennent le demander, et tant d’autres encore. Mais à chaque fois, les personnes rencontrées remplissaient au moins une condition sur leur bienveillance ou leur demande vis-à-vis de l’Église. Ils savent qu’ils s’adressent à l’Église et même se sont dirigés vers elle pour rencontrer son opinion, solliciter ses compétences ou connaître les œuvres d’art qu’elle a suscitées.
L’apostolat de rue n’a rien de tout cela. Il devient en cela la preuve que l’Évangile s’adresse à tous. Le Seigneur Jésus nous a dit : ‘de toutes les nations faites des disciples’, et donc nous nous adressons à tous, à n’importe qui, sans condition préalable autre que de pouvoir leur parler.
Une particularité de l’apostolat avec la communauté Aïn-Karem, et notamment de l’apostolat de rue, est le respect que nous voulons avoir pour la raison, l’intelligence de nos interlocuteurs. Nous voulons honorer leur capacité à penser, à réfléchir, à raisonner. Nous voulons faire droit à leurs objections et les honorer (sauf, bien sûr, s’il s’agit de faux arguments suscités par la mauvaise foi). Bien souvent, des groupes de jeunes et des communautés nouvelles mettent en avant le témoignage de vie, dans la série : ‘Jésus m’a parlé. Je l’ai rencontré et je l’ai suivi. Je t’invite à en faire autant’. Sans mépriser ce chemin, nous voulons quant à nous, croire que la personne peut réfléchir et penser et non pas seulement s’émouvoir. Puisque la foi est aussi un contenu, nous voulons développer ce contenu et montrer que le langage de la raison, que nous avons en commun avec tous les hommes, s’applique à ce contenu. Croire que Jésus est le Fils de Dieu, croire qu’il est vraiment ressuscité, croire que l’Église est et demeure le chemin voulu par Jésus pour annoncer la vérité, tout cela peut se réfléchir et est matière à discussion. L’acte de foi qui peut en être l’aboutissement ne sera pas simplement un pari gratuit, mais préparé et incliné par le travail de l’intelligence qui sollicite au final l’assentiment de la liberté. Il y a des raisons de croire.
Enfin, pour décrire rapidement une séance d’apostolat de rue tel que nous le pratiquons à Paris ou en mission d’été, il y a tout d’abord un moment de convivialité avec l’équipe des missionnaires, un temps de prière (qui peut être la messe), et surtout un temps de formation et de préparation, un enseignement de fond sur un point de théologie et de foi. Puis nous partons avec un peu de matériel : quelques images, des citations de l’Écriture ou bien un tract de présentation de la paroisse au nom de laquelle nous sommes envoyés, mais surtout, nous partons avec un panneau assez explicite pour que les passants nous reconnaissent rapidement comme membres de l’Église catholique. Enfin, très souvent nous avons un tabouret. Ce petit escabeau servira à un membre de l’équipe pour monter et parler à tous les passants. S’adressant effectivement à eux, leur parlant de Jésus ou d’un point de la foi de l’Église. Sans illusion sur l’attention de ceux qui ne font que passer, mais permettant tout de même que les gens puissent s’arrêter et écouter se discours structuré, argumenté sur la foi chrétienne.
Les autres missionnaires sont en binômes, disponibles pour écouter le prédicateur, mais aussi légitimés par sa présence pour aborder tous les passants, y compris ceux qui ne s’arrêtaient pas.
A chaque rencontre nous nous posons la question de la proposition que nous pourrions faire à notre interlocuteur, pour qu’il puisse avancer et faire un petit pas dans la direction de la foi et de la vie chrétienne.
En fin de séance, une prière d’action de grâce, de louange et d’intercession pour les personnes rencontrées réunit toute l’équipe missionnaire.
Souvent un moment de convivialité réunit tous les membres avec éventuellement les interlocuteurs rencontrés dans l’après-midi.
À chaque fois, le noyau des missionnaires se réunit pour un tour de table pour des fioretti bien sûr, mais plus encore pour rendre compte des difficultés rencontrées, des suites à donner à telle ou telle rencontre, réconforter ceux qui ont eu un moment éprouvant, répondre à une question demeurée sans réponse.
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