Soins palliatifs : tant qu’on arrive à créer de la vie !
Vincent Massart est diacre dans le diocèse de Rennes. Mais il était aussi médecin, jusqu’à il y a quelques mois, et avait été responsable du service de soins palliatifs de la Polyclinique Saint-Laurent à Rennes, appartenant au groupe d’établissements créé par la congrégation des sœurs hospitalières de Saint- Thomas de Villeneuve. Il pose un double regard, médical et spirituel, sur les soins palliatifs dont il a été un des pionniers en Ille-et-Vilaine.
Propos recueillis par Yann Béguin et Jean Matos.
Des contes qui nous parlent
Pour moi, je vois deux images représentant les soins palliatifs. Il y a celle du Laboureur et ses enfants (fable de La Fontaine). Sentant sa fin venir, le laboureur fait venir ses enfants et leur explique qu’il y a un trésor dans le jardin. Les enfants commencent à creuser le jardin, ils ne trouvent pas le trésor et abandonnent. Ma lecture de ce conte, c’est que le père avait un message à transmettre à ses enfants. Il a eu le temps de les faire venir et de leur raconter ce qui était important pour lui. En soins palliatifs, on aimerait bien obtenir que celui qui est en fin de vie puisse enfin délivrer le message qui pour lui est fondamental. Jusqu’à la fin de vie, on peut changer les choses !
La deuxième, c’est l’histoire de La chèvre de Monsieur Seguin. La chèvre est dans un pré, M. Seguin s’occupe bien d’elle. Il y a juste la montagne, au loin, qu’elle voudrait voir. Alors elle se sauve, la nuit tombe, le loup l’attaque et là, c’est l’agonie. Toute la nuit, elle se bat. Pourquoi meurt-elle ? Parce qu’au petit matin, le soleil se lève, elle voit la lumière, elle sent les odeurs du matin, et c’est beau : « C’est pour cela que j’ai vécu, c’est pour cela que j’ai voulu y aller ! » Et elle se laisse mourir. Dans les soins palliatifs, j’y vois ce moment où tout s’éclaire et j’accepte de me laisser mourir.
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Un sujet en relation
Dans ces moments-là, on apprend énormément ! J’aime bien évoquer aussi cette dame qui était en fin de vie, qui souffrait beaucoup. Elle était en position fœtale, ne communiquait plus du tout. On avait réussi à peu près à la soulager. Et puis à un moment, une aide-soignante entend cette dame dire : « J’ai soif. » Tout le monde a réalisé que cette dame n’était plus un objet de soins : elle était devenue un sujet avec qui on pouvait avoir une relation, et chacun a cherché à obtenir un lien avec cette dame : est-ce que vous avez mal ? Comment ça va ? Finalement, c’était les soignants qui avaient soif d’entendre cette dame dire « J’ai soif ». Il y avait une vraie relation. Donc quelque chose de spirituel, de la rencontre du Vivant, qui était là.
La souffrance, un Chemin de Croix
C’est dur de se dire : « Peut-être que je vais avoir mal », mais je trouve qu’il y a beaucoup d’humilité à avoir sur ce chemin-là. Le Chemin de Croix, c’est ça aussi, c’est accepter que je ne vais pas maîtriser et peut-être que ça va mal se passer. Et cela, comment l’exiger des autres ? Donc, nous, notre job, c’est de faire en sorte que le Chemin de Croix soit le moins dur possible. Quand on a mal, il faut soulager celui qui a mal. La souffrance efface tout, c’est vraiment une déshumanisation.
Faire enfin ce qui donne du sens
Je pense à cet homme qui arrive dans l’unité pour mourir. Dans son dossier médical, il y avait une lettre : « J’ai eu une belle vie. J’ai écrit des livres. J’ai été célèbre. Maintenant, je sais que je suis malade, je sais que je vais mourir et cette période de ma vie ne sert plus à rien. Faites en sorte que cela dure le moins longtemps possible. Je demande l’euthanasie. » La première chose qu’il me dit c’est : « Est-ce que vous avez lu ma lettre ? » Je lui réponds : « Oui, on y sera attentif mais on en reparlera plutôt demain, installez-vous d’abord et puis, surtout, aujourd’hui on va essayer de vous soulager. » Le lendemain, on est satisfait de voir qu’il n’a plus mal. Trois semaines après, ce patient me demande : « Pouvez-vous faire en sorte que ma vie se prolonge un peu plus car je voudrais écrire un dernier livre ? » À partir du moment où cela avait du sens, c’est clair qu’il n’avait plus envie de mourir.
Pour moi, cette période de fin de vie peut être un objectif que l’on a, peut-être une « période bénie » pour faire enfin ce qui donne du sens à notre vie. Tant qu’on arrive à créer de la vie, autour de la personne en train de mourir, le désespoir n’a pas de sens. Même sur la croix, Jésus a dit : « Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il n’y a pas de honte mais, pour nous, c’est de faire en sorte que le sens va permettre de donner de l’espoir.
Rendre sa dignité ?
Il y a trois sens au mot dignité. La dignité que je m’octroie quand je me regarde dans mon miroir et que je me dis que je suis quelqu’un de bien. C’est souvent cette dignité qui prévaut auprès des gens. Il y a la dignité que les autres me donnent : « Qu’est-ce que tu as bien travaillé. » Ça c’est important aussi pour beaucoup de gens. Et puis la troisième forme de la dignité, c’est celle que nous avons tous parce que nous sommes enfants de Dieu, parce que nous sommes des personnes humaines et que tout être humain mérite d’être reconnu dans sa dignité. Et je n’aime pas du tout quand on parle de rendre sa dignité à quelqu’un. Non par pitié, il l’a !
Extrait du dossier « Les soins palliatifs : accompagner la vie » du magazine Église en Ille-et-Vilaine de février 2022, n° 337.