Gravir les montagnes… pour retrouver la confiance !
Depuis huit ans, un groupe d’alpinistes fait découvrir la haute montagne des Alpes à des personnes de milieux défavorisés pour leur redonner confiance.
A l’entrée du glacier de la Meije, accroché à 3 200 mètres d’altitude, il faut sauter dans le grand blanc.
Une cordée s’avance à pas lents dans la pente… puis s’arrête soudainement. Qina, 28 ans, en deuxième position, s’est précipitée en arrière, impressionnée par une crevasse de dix centimètres de large qu’un simple pas suffirait à enjamber. Mais pour la jeune femme qui marche dans la neige pour la première fois de sa vie, comme la plupart des six personnes sans-abri de son groupe, la frontière paraît infranchissable. Elle s’agrippe à la corde comme si sa vie en dépendait. « Tu es attachée à nous, il ne peut rien t’arriver ! Pose le pied avec confiance et lance-toi.»
D’une voix experte et paternelle, François Bransciard, 67 ans, parvient à la rassurer.
Des « premières neiges », le guide diplômé en 1978 en a vu d’autres. Mais plus particulièrement depuis qu’il a rejoint l’association 82-4000 Solidaires il y a trois ans. Née dans les Hautes-Alpes au sein d’ATD Quart Monde en 2012, elle entraîne des personnes issues de milieux défavorisés à l’assaut des sommets.
Partager avec les « oubliés »
Hugues Chardonnet, 61 ans, est diacre et guide fondateur de l’association. « J’ai voulu partager avec les “oubliés” la passion de la montagne qui m’avait nourri tout au long de ma vie, dit-il. J’y vois un clin d’oeil à la société qui réserve injustement ce qu’il y a de plus beau et de plus nécessaire aux plus riches. »
Familles pauvres, sans-abri, gens du voyage, jeunes sans activité ou rejetés de chez eux… Près de 1 000 personnes ont déjà pu découvrir la montagne grâce à une vingtaine de bénévoles réguliers. Cette semaine, l’association accompagne SOS Accueil et Rive, deux organismes d’accueils de jour versaillais qui rassemblent des femmes et des hommes vivant dans la rue. La semaine prochaine sera dédiée à des femmes seules, un public auquel les alpinistes de l’association sont particulièrement attachés. « Culturellement, elles sont encore plus exclues de la montagne », précise Hugues Chardonnet. Au cours des stages d’une semaine, les participants commencent par des journées de « mise en jambe » – promenades, escalade… – avant de partir pour deux jours en haute montagne avec une nuit en refuge.
Souvent, les stagiaires gravissent un sommet, parmi les 82 de plus de 4 000 mètres que comptent les Alpes : les membres fondateurs se sont lancés le défi de les gravir tous !
Après sept heures de descente éprouvante dans les névés et les éboulis, les stagiaires posent un pied victorieux sur la terrasse du refuge Évariste-Chancel (2 508 mètres). « J’aurais dû faire ça toute ma vie ! » s’exclame Guillaume, Réunionnais de 33 ans. « C’est magnifique ici ! » s’extasie Mamadou, 29 ans, en dansant face au massif, son sac toujours sur le dos. Ce jeune Ivoirien, arrivé en France en 2018 après dix ans dans l’armée, dort dans la rue en espérant un jour obtenir son statut de réfugié. Lors d’un tour de table organisé avant le dîner, il se confie : « Avant de venir, je réfléchissais beaucoup. En arrivant ici, j’ai tout oublié. » Qina aussi ouvre son coeur, les yeux brillants : « Merci mon Dieu de m’avoir donné le courage de venir ici. Mais même pour des milliers d’euros, je ne referai plus ça ! »
Les guides sourient : eux aussi disaient ça après leurs premières courses.
Une expérience de transfiguration…
« Un moment en montagne est une expérience de transfiguration, témoigne Hugues Chardonnet. Tu redescends avec toute la beauté, la solidarité, la peur, la réussite personnelle, et rentres différent, avec cette lumière, cette espérance. » Tout le monde est concerné : les alpinistes grandissent au contact des stagiaires. Ils redécouvrent les montagnes avec des yeux d’enfants, se sentent utiles et prennent eux-aussi de la hauteur. « Ici, on touche la vie du doigt », affirme François Bransciard.
Chaque fin d’été, trois cents personnes de tous horizons sont invitées à la journée « Montagnes partagées » organisée par l’association pour découvrir ce trésor. Mais pour l’heure, les apprentis alpinistes pensent surtout au prochain sommet : rentrer à temps à Versailles pour trouver une place dans la rue. Les crevasses quotidiennes y sont invisibles mais restent néanmoins difficiles à enjamber. Dorénavant, le souvenir de la montagne les aidera à s’élancer.