CRS et diacre au service de l’ordre
Christophe Leclercq, CRS et diacre ordonné pour le diocèse d’Arras a pour métier le maintien de l’ordre. Une double casquette plutôt inhabituelle qui le place à la charnière des mouvements de société.
« Bien sûr que c’est possible de concilier les deux ! On peut être CRS et doté d’un cœur et d’un cerveau », ironise Christophe Leclercq, 49 ans. Le policier chrétien, originaire du Pas-de-Calais, est habitué à s’expliquer sur ce double « engagement » qui peut surprendre : « À tort, car je suis un homme de dialogue et de rencontre, j’aime engager la conversation, au travail ou ailleurs… »
Marié et père de trois enfants, Christophe Leclercq aime son métier, choisi par vocation il y a 26 ans ; il est également heureux d’avoir répondu positivement à l’appel du diaconat. Par amour pour Dieu et ses frères. « Je ne suis pas diacre puis CRS ou l’inverse mais bien diacre et CRS… »
« Ma mission prend tout son sens au boulot »
Durant toute la formation diaconale, « Pitof », comme le surnomment ses collègues et amis, est resté discret : « J’ai dû demander l’autorisation à mon patron. Il m’a dit que tant que ça ne perturbait pas mon métier, il n’y avait aucun souci. » Ordonné il y a deux ans, le brigadier de police porte l’insigne de diacre, une petite croix, sur son blouson, « en interne mais aussi en maintien de l’ordre, où il est recouvert par le gilet pare-balles ! »
Et les collègues, comment ont-ils réagi ? « Après mon ordination, j’ai rejoint ma compagnie en Corse et mon capitaine, aujourd’hui à la retraite, m’a serré dans ses bras, se souvient le diacre avec émotion. Tous respectent cet engagement. Certains se moquent gentiment – on m’appelle parfois monseigneur, monsieur le curé ou révérend –, j’accueille toutes les réactions, je ne suis pas là pour convertir qui que ce soit ! »
Christophe et son épouse Sandrine se sont mariés à l’Église et leurs trois enfants ont été baptisés. Mais le CRS est vraiment revenu vers Dieu en 2006, à la suite du suicide d’un ami collègue. « Avec Sandrine, nous avons cheminé vers la confirmation et l’appel au diaconat est venu dans la foulée… La foi a redonné du sens à ma vie après ce décès tragique. » La compagnie est une vraie famille pour les CRS.
« J’ai toujours été attentif aux souffrances des copains, ça me prend aux tripes et, depuis que je suis diacre, ils se confient encore plus à moi, croyants ou pas. Ma mission prend tout son sens au boulot. » « Pitof » a déjà célébré des baptêmes, des mariages et des temps de prière pour des remariages, des funérailles aussi…
Une image négative
Le brigadier souffre de l’image négative qu’on accole à sa profession : « Je l’ai vécu avec les copains du groupe diaconal qui voient mon métier d’un autre œil, depuis qu’on en a discuté. J’entends moins de remarques blessantes du genre : “Alors, tu n’as pas trop frappé de gilets jaunes ce week-end ?” »
Les derniers mois ont été rudes avec la crise des gilets jaunes – « d’autres collègues ont plus souffert que moi de cette pression… » – et le policier n’a pas compté les heures supplémentaires. Il comprend les revendications du mouvement : « Je fais mon métier même si je peux me sentir plus proche d’eux que de l’élite là-haut ! Mais on a trop montré la violence au détriment du message… »
Lui préfère citer ce geste de 70 gilets jaunes venus déposer une gerbe à Saint-Omer en janvier après le suicide d’un CRS. « Ne filmer que les affrontements entre manifestants et policiers, ça rajoute de la violence. » Il voit monter avec tristesse « la haine anti-flics », tente de prendre du recul et de rassurer sa famille : « Je me sens davantage en danger qu’il y a dix ou quinze ans mais je gère ça par la prière, ça m’aide. »
« Parfois, on aimerait engager la conversation, mais ce n’est pas possible derrière nos boucliers »
Maintien de l’ordre, sécurisation, contrôles routiers, lutte anti-terroriste, réserve… Le policier exerce dans la France entière, de Paris à Calais, pour gérer la crise migratoire, en passant par la Corse. Et s’absente souvent plusieurs semaines. Alors, quand il est en congé, Christophe Leclercq profite de sa famille.
Il n’est pas toujours facile pour cet homme chaleureux et sensible – « je pleure facilement devant des films à l’eau de rose » – de rester de marbre. « Je suis gardien de la paix, j’essaie avant tout d’apaiser et de ne pas utiliser la violence mais si je dois bloquer, je bloque. Le fait d’être chrétien n’enlève pas le professionnalisme. » Même Sandrine lui trouve un air sévère en tenue : « C’est parce que je suis concentré. Parfois, on aimerait engager la conversation, mais ce n’est pas possible quand on est derrière nos boucliers. »
Cette année, Sandrine et Christophe ont fêté leurs 25 ans de mariage. Le diacre CRS est très fier de ses trois enfants : deux sont engagés dans la police et la dernière dans l’armée de l’air. Malgré le climat ambiant – et ce chiffre de 47 suicides dans la police depuis le début de l’année –, Christophe Leclercq essaie de garder le moral : « Je suis quelqu’un d’optimiste. Sur mes étoles de diacre, j’ai hésité à faire broder un sourire. »
Son inspiration. Ne pas juger et pardonner
« Le jugement et le pardon, ce sont des mots qui m’ébranlent. J’essaie de ne pas être dans le jugement, c’est ce que mon cœur me dicte. » Face à des jeunes gardés à vue désœuvrés, Christophe Leclercq cherche à comprendre : « ça me fait mal au cœur, je prie pour eux. Beaucoup ont souffert et je dis toujours à mes collègues qu’on ne sait pas tout de la personne qu’on a en face… »
Le brigadier aime regarder l’émission « Pascal le grand frère » : « Chacun est pardonnable, quelle que soit la faute commise. J’essaie d’apaiser les choses plutôt que de rajouter un mal au mal qui est déjà présent. » Il croit en la force du pardon : « Avec un de mes supérieurs, pendant trois mois, nous ne nous sommes pas parlé à la suite d’une dispute. Je suis revenu vers lui et il en était heureux aussi. La réconciliation, c’est important. »
paru dans la Croix du 10 septembre 2019