Diacres, une Église en tenue de service – Albert ROUET

DIACRES, UNE ÉGLISE EN TENUE DE SERVICE

Mgr Albet ROUETMgr Albert Rouet, Mediaspaul, 2016.

Recension de Mme Geneviève Jovenet;
membre du CND, représentant les épouses des diacres

 Dans cet ouvrage Mgr Albert Rouet s’appuie sur son expérience épiscopale et sa connaissance des textes de Vatican II pour approfondir la réflexion sur le ministère du diacre permanent. Dans une structure qui s’est passée de ce ministère pendant des siècles, quelle en est la spécificité, la pertinence ? Comment le situer à sa juste place pour qu’il fasse signe et sens ?

Dans l’introduction l’auteur rappelle le contexte de la restauration du diaconat par le Concile Vatican II, marqué par l’effondrement du modèle ecclésial reposant sur le curé « agent du quadrillage territorial » et la chute des vocations presbytérales.
La restauration du diaconat se fait sans modèle satisfaisant pour le monde actuel, avec comme point d’appui  la conception de l’Église, au service du projet de Dieu et appelée à se comporter comme sacrement du Royaume pour le monde.

Le diaconat « se situe exactement en ce point où l’Église est présente au monde [1]  ». C’est dans la perspective de l’ecclésiologie de Vatican II et de son rapport au monde qu’il convient de penser le ministère diaconal.

Diacres - une Eglise en tenur de service Albert Rouet 1 RMgr Albert Rouet part de la liturgie de l’ordination diaconale pour préciser que c’est l’Église qui appelle – un homme, souvent marié, avec l’accord de son épouse – pour les besoins de sa mission. Qu’il existe un lien direct entre la nature de l’Église et le service diaconal, service orienté vers Dieu, le peuple de Dieu, le monde. Que l’Église a besoin de diacres parce qu’elle se perçoit comme servante du projet de Dieu pour l’humanité.
L’auteur s’attache ensuite à décrire cette diaconie de l’Église à laquelle le diacre est consacré et relève deux difficultés. En effet, s’agissant du soin des malades et des pauvres, d’une part l’Église n’en a pas l’exclusivité, d’autre part elle s’est longtemps passée du diaconat tout en servant la charité. Pourquoi donc un ministère ordonné ?
Vatican II met fin à une conception de l’Église comme société au profit d’une approche scripturaire et patristique.

En Lumen Gentium l’Église se décrit comme mystère, terme qui désigne l’inépuisable générosité de Dieu. L’Église reçoit cette générosité pour la répandre, mais celle-ci déborde sur le monde qui la reçoit aussi. Il y a donc de l’ecclésial en dehors de l’Église. C’est précisément la raison d’être du ministère diaconal, au point de contact de l’Église et du monde.

Quand l’Église se conçoit comme mystère, servante du projet de Dieu pour l’humanité, comme Sacrement du Royaume « signe et instrument de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain », elle a besoin de diacres.
Quand les pauvres et les petits sont au centre de ses préoccupations, en référence à l’Évangile, les diacres deviennent nécessaires.

 Lumen Gentium opère un retournement vers les Écritures qui est essentiel. Gaudium et spes approfondit la question du rapport au monde et l’inscrit dans la « logique de l’incarnation », laquelle suppose la « loi de l’échange » entre l’Église et le monde.

Diacres - une Eglise en tenur de service Albert Rouet 4 RCette position nouvelle de l’Église la conduit à reconnaître ce qu’elle doit au monde, à s’engager aux côtés de ceux qui se préoccupent de l’humain et du « bien commun », à reconnaître ce qui se fait en dehors d’elle. Le Royaume germe dans l’Église et au delà en raison de la surabondance de la grâce. Dans le monde l’Église en est témoin et en révèle le sens. Dans la communauté des croyants elle pointe ces germes venus d’ailleurs et indique que le salut déborde leur communauté, renvoyant à plus large qu’elle même.

La pertinence du ministère diaconal se trouve à cette articulation de l’Église et du monde, cette relation de dialogue et de réciprocité. Il fait l’aller-retour entre l’une et l’autre, les renvoyant à plus large qu’elle-même, dans une logique sacramentelle. Car « on ne passe pas directement du pain sorti du four à la présence eucharistique sans une intervention de l’Esprit du Christ ». De même avec le Royaume, l’Eglise en est le sacrement, témoin et actrice de l’intervention du Christ.

Cependant pour le situer avec justesse, il convient de préciser la spécificité du diacre, par rapport aux autres ministres ordonnés dans une organisation qui s’est construite sans lui, et par rapport aux laïcs qui sont aussi à la jointure de l’Église et du monde.
Ce ministère s’éclaire non pas à partir des tâches ou des missions mais à partir du service sacramentel et de sa source, laquelle s’enracine dans la sacramentalité de l’épiscopat. Le décret conciliaire Christus Dominus affirme la sacramentalité de l’épiscopat et décrit les services de cette charge selon deux dimensions : la conduite et la sanctification des chrétiens du diocèse, et la sollicitude pour tous les hommes, fidèles ou non, l’enseignement et l’engagement dans les problèmes du monde. L’ad intra et l’ad extra se renvoient l’un à l’autre.

Le ministère diaconal entre dans cette compréhension de la charge pastorale. Tout comme le ministère épiscopal ne se limite pas aux chrétiens d’une ville, le ministère diaconal dépasse l’Eglise, il sert l’ecclésial hors de l’Église.

Cette visée éclaire le rapport du diacre aux laïcs. L’Église a besoin du ministère diaconal pour aider les laïcs à être vraiment laïcs, les soutenir, redonner la source baptismale et le sens de leur présence au monde dans la perspective du Royaume. Aux communautés chrétiennes il rappelle qu’il existe du Royaume au-delà d’elles.

Le rapport aux prêtres reste un sujet délicat. L’auteur invite à ne pas sous-évaluer le poids des structures, et s’interroge sur le « degré inférieur de la hiérarchie » pour un ministère qui ne sera suivi d’aucun autre degré. Il note que « si le diacre est sacramentellement lié à l’évêque il ne l’est pas au prêtre », mais ministère presbytéral et diaconal découlent de la double dimension du service épiscopal. Il se demande enfin comment introduire les diacres dans la vie paroissiale, dans un cadre qui les a longtemps ignorés, sans en faire des quasi-vicaires qui prennent leur tour, au risque de perdre la signification sacramentelle de ce ministère.
Concernant le diaconat et les femmes Mgr Albert Rouet constate la grande diversité du profil des épouses de diacre qui ont « beaucoup à apporter par exemple sur la perception des ministères hors de l’Église [2] ». Il aborde la question du diaconat féminin, rappelant qu’elle n’est pas fermée et qu’il existe des précédents historiques. Mais s’interroge sur « une femme diacre, pour quoi faire en tant que femme », question qui n’a pas d’équivalent masculin.

Considérant la liturgie diaconale l’auteur émet des suggestions pour « signifier par des gestes adaptés la singularité du diaconat permanent comme ministre habituel de la célébration chrétienne ».
Néanmoins, le service eucharistique est le lieu où « le ministère particulier du diacre trouve sa pleine stature[3] ». Il est significatif que le diacre accueille et prépare les offrandes et élève le calice. L’eucharistie offre la vie du monde pour qu’elle soit sanctifiée et déborde ainsi la messe. Du service de la Parole au geste de paix lié à l’envoi qui pousse les fidèles à devenir eucharistie vivante pour les hommes et semence de paix dans le monde, le diacre est le garant de cette ouverture au monde que son ministère manifeste.

Le ministère diaconal ouvre l’Église à de l’autre qu’elle-même et la décentre, c’est là sa fonction principale selon l’auteur.

Mgr Albert Rouet replace le diaconat dans l’esprit et la lumière de sa restauration par les pères du concile Vatican II. C’est à partir de la conception de l’Église développée et mûrie dans les constitutions dogmatiques Lumen Gentium et Gaudium et spes que le ministère diaconal trouve son sens et sa pertinence et des conditions d’existence favorables.

Quand l’Église se décrit comme mystère, elle a besoin de diacres pour servir l’ecclésial hors de l’Église, reconnaître et révéler ce qui germe au delà d‘elle.
Parce qu’elle est servante du projet de Dieu pour l’humanité elle a besoin d’un ministre ordonné, configuré au Christ serviteur, pour signifier sacramentellement qu’elle est en service.
Parce qu’elle est sacrement du Christ pour le monde, ce ministère est nécessaire pour manifester cette relation de dialogue et de réciprocité entre elle-même et le monde, pour accueillir « ce que l’Esprit accomplit dans le cœur des hommes », témoigner de la fécondité de l’Évangile dans les fêlures du monde.

Geneviève Jovenet

[1] P 11

[2] P 149

[3] P 168