Un diacre Avocat du travail

Grégory Leurent, diacre du diocèse de Nanterre

« La justice, la vérité, le courage, voilà l’Évangile ! »

Originaire du Nord, père de trois enfants, Grégory Leurent, 46 ans, est diacre depuis un an  à Asnières-sur-Seine, dans le diocèse de Nanterre. Avocat du travail, il s’efforce de concilier ses exigences professionnelles et les valeurs de l’Évangile, ce qui ne va pas toujours de soi.

Avocat du travail, en quoi cela consiste-t-il ?

J’assiste des clients qui peuvent être des ONG ou des petites ou moyennes entreprises ayant besoin d’être conseillées pour des ruptures de contrat de travail, la gestion de la paie, des congés, la création d’institutions représentatives du personnel. J’aide aussi des personnes salariées, parfois licenciées. J’ai une importante activité de contentieux et je plaide toutes les semaines devant des conseils de prud’hommes, ce qui n’est pas toujours facile. Il y a quelques années, j’ai quitté un gros cabinet pour créer une petite structure où nous sommes deux, un associé et moi.

Quelles sont les tensions possibles entre votre métier et les valeurs évangéliques ?

Le principal problème vient du fait que, dans ce métier, beaucoup racontent les histoires qui les arrangent, qui ne correspondent pas forcément à ce qui s’est réellement passé. Je dois donc chercher la vérité à travers ce qui m’est raconté. Je me suis rendu compte assez vite que les mensonges pouvaient venir aussi bien des entreprises que des salariés. Il n’y a pas si longtemps, j’ai reçu, dans un litige vieux de trois ans, une pièce venue de la direction d’une entreprise. Elle m’a paru bizarre car elle sauvait complètement le dossier mais arrivait très tard. Pourquoi n’arrivait-elle que maintenant ? J’ai appelé la personne qui m’a avoué que c’était un faux, tout en m’assurant que ce qui était rapporté était vrai. Je lui ai dit que je ne produirais évidemment pas de faux. D’un autre côté, je rencontre régulièrement des salariés me confiant qu’ils n’ont pas de litige particulier avec leur employeur mais qu’ils veulent quitter l’entreprise pour mener à bien un projet personnel. Ils m’expliquent qu’il faudrait donc qu’ils soient licenciés, qu’ils touchent un peu d’argent et le chômage. Ça, je ne fais pas non plus. D’autres viennent aussi me voir en plein burn-out. J’essaie alors de voir avec eux quelle est la meilleure voie possible. Je tente de leur faire comprendre que le mieux n’est peut-être pas de vouloir se venger mais de retrouver un travail, de se reconstruire.

Existe-t-il une manière chrétienne d’exercer ce métier ?

Il y a sept ans, je me trouvais sur la route de Saint-Jacques-de-Compostelle et je demandais au Seigneur si je devais quitter mon travail pour m’engager dans une ONG à plein-temps ou rester dans mon travail. Je trouvais que mon métier était trop tourné vers l’argent, pas assez axé sur la vérité, la justice, l’équité. J’ai senti, chemin faisant, que j’étais renvoyé vers mon travail. En rentrant, j’ai dit : « Seigneur, désormais, toutes les personnes qui rentrent dans mon bureau, je considérerai que c’est toi qui me les envoies. » Je lui demande : « Seigneur, que veux-tu que je fasse pour elles ? » Quand je rentre dans une salle d’audience, je me dis : « Seigneur, j’ai peut-être un bon dossier ou un mauvais dossier, je ne sais pas forcément où est la vraie justice et la vraie vérité, mais qu’il soit fait selon la vraie justice. » La justice, la vérité, le courage, voilà l’Évangile. Ce sont des combats. C’est vers là que j’ai senti que j’étais renvoyé.

Y a-t-il des passages de l’Évangile qui vous guident au quotidien sur le plan éthique ?

Un jour, j’ai entendu le père Guy Gilbert dire que tous les matins, il lit l’évangile du jour, il écrit une phrase sur un post-it qu’il colle sur son paquet souple de tabac. Et comme c’est un assez gros fumeur, il rumine cette phrase tout au long de la journée. Personnellement je ne fume pas, mais j’ai un smartphone que j’ouvre vingt à trente fois par jour. Tous les matins, je peux lire une phrase d’Évangile sur laquelle je reviens tout au long de la journée et que je peux voir, prier, méditer.

Récemment, je suis tombé sur cette phrase bien connue à propos du Christ : « Il parlait avec autorité. » Je me suis appuyé sur cette phrase pour plaider un dossier, pour ne pas fuir ce que j’avais à faire.

Comment s’est déroulé votre appel au diaconat ?

Un soir, à la fin d’une réunion d’Équipe d’animation pastorale, mon curé de paroisse est venu me voir en me disant qu’il souhaitait venir nous parler, mon épouse et moi. Il est venu chez nous et nous a dit qu’il me verrait bien devenir diacre. Ma femme s’est montrée d’emblée très enthousiaste alors que personnellement, je n’y avais jamais pensé. Pour moi, le diacre, c’était juste ce gars en blanc qui pique le boulot du petit enfant de chœur ! Ensuite, je me suis renseigné et la première chose qui m’a touché, c’est que le diacre est ordonné pour aller dans le monde professionnel. Plus que la partie liturgique, c’est l’image du Christ serviteur qui m’a marqué immédiatement.

Quelles ont été vos premières découvertes ?

Le diocèse de Paris nous a offert une formation à l’homélie dispensée par d’anciens chefs d’entreprise, pour travailler sur la parole en public. Ce fut très intéressant. Notre évêque, lors de l’ordination, a remis à chacun des quatre nouveaux diacres, une lettre de mission dans laquelle, paradoxalement, il ne nous confiait pas de mission particulière, si ce n’est de prendre doucement notre place dans notre paroisse. Cela me va parfaitement bien car, au cours de cette première année, tout était nouveau pour moi : baptiser, préparer des jeunes au mariage, prêcher… Rien n’a changé, mais tout a changé. C’est un peu une nouvelle vie qui commence. Le regard des autres n’est plus le même : il y a une grande bienveillance. Les paroissiens viennent déposer des aspects précieux de leur vie, ils vous demandent de prier avec eux…

Comment votre épouse a-t-elle vécu cette première année de diaconat ?

Après avoir participé à toute la préparation, elle a été, comme c’est l’usage, laissée un peu de côté. Ce fut donc difficile, surtout les quatre premiers mois, d’autant plus que nous étions auparavant engagés ensemble dans de nombreuses activités. Au début, elle m’a dit qu’elle trouvait que je faisais un peu trop de choses seul. Du coup, j’ai pris moins de responsabilités à partir de Pâques. Elle m’a dit qu’elle se croyait plus forte que les autres mais qu’en fait, il n’en était rien. En couple et en famille, nous vivons un beau temps d’ajustement. Ce qui nous aide beaucoup, c’est de prendre chaque soir un temps de prière ensemble, installés dans un petit oratoire, chez nous. Ce moment d’unité et de communion est une vraie grâce.

Propos recueillis par Romain Mazenod pour la revue DIACONAT AUJOURD’HUI